PÉRIGNAC : LE LOUP DU DÉSERT

Un loup noir terrorise les habitants de L’Oasis De Sabel pour des raisons mystérieuses. Le roi Asinor a demandé à ses chasseurs de lui apporter la fourrure d’une fort jolie louve blanche afin de s’en servir comme descente de lit. Son geste va lui valoir la perte de son pouvoir.

Ali Chimacum Amora, jeune marchand de Sabel va découvrir la plus belle princesse au monde dans ce désert mais, saura-t-il se mériter son coeur depuis que le loup noir la force à porter cette fourrure blanche qui lui procure l’illusion d’avoir encore sa compagne auprès de lui?

Chapitre 1

Le loup du désert était plus rusé que le renard, plus cruel que le fauve enragé, plus féroce que le lion, plus agile que le guépard et encore plus sanguinaire que toute une armée de mercenaires. Depuis la mort de sa LOUVE BLANCHE, sa folie et sa haine envers les humains faisaient de lui un “monstre” qu’il ne fallait surtout pas retrouver sur sa route. Il s’attaquait malheureusement à tous les voyageurs qui osaient s’aventurer au désert. Accompagnée par une meute de deux cents loups dévoreurs, cette bête noire possédait déjà la triste réputation d’avoir tué tout près de quatre cents personnes. C’étaient des marchands, des voyageurs imprudents ou encore des serviteurs du roi Asinor qui devaient payer, en quelque sorte, cette haine farouche qu’entretenait ce loup noir envers les humains. Mais il serait bon de préciser que c’était surtout contre le roi Asinor qu’il désirait assouvir sa vengeance.

Le royaume de ce roi se trouvait au milieu du désert. C’était une sorte d’oasis exotique, perdue parmi les sables du désert de Sabel. C’est ainsi que ce bel oasis prit un jour le nom de ce désert puisque c’était à l’époque le seul point d’eau de Sabel. Le roi s’était enrichi en vendant son eau fraîche aux nombreux nomades. Sabel accueillait également les marchands d’esclaves et les chasseurs de primes car le roi offrait dix mille pièces d’or à celui qui lui ramènerait la tête du loup noir. À part l’eau, la vente des esclaves et les traqueurs de loups, Sabel n’offrait que peu d’attrait pour les voyageurs. C’était un royaume isolé et n’avait de paradisiaque que son paysage. La vie à Sabel ne pouvait être belle puisque le loup noir rôdait jour et nuit autour de cette île du désert. Même les habitants n’osaient s’aventurer à plus d’une lieue de l’oasis. Et que dire de tous ces marchands qui ne savaient jamais s’ils arriveraient sans encombre à Sabel ? Le roi Asinor maudissait ce loup qui faisait en sorte d’isoler ce royaume pour des raisons obscures.

Tout avait débuté avec la mort d’une louve blanche. Il est vrai qu’elle était, dit-on, d’une beauté et d’une blancheur remarquable. Elle accompagnait toujours le loup noir dans ses déplacements mais jamais les habitants de Sabel ne furent importunés par leur présence. En effet, le loup noir et sa partenaire rôdaient souvent près de l’oasis sans toutefois s’en approcher à plus d’une lieue. Un jour cependant, le roi vit cette louve magnifique par la haute fenêtre d’une tour de son palais. Il en fut alors tellement fasciné qu’il ordonna à ses chasseurs de lui ramener la peau de cette jolie bête. Lorsque la louve vit les chasseurs s’approcher, elle s’éloigna du loup noir qui était alors assoupi près d’elle. Les hommes la suivirent de loin afin de pouvoir l’abattre au moment propice. En réalité, cette louve cherchait seulement à éloigner les chasseurs qui auraient profité de cette occasion pour abattre également son compagnon. Lorsqu’elle fut assez loin du loup noir, la louve blanche s’arrêta et s’étendit mollement sur le sable. Les envoyés du roi Asinor l’entourèrent et l’un d’eux l’égorgea sans attendre. La pauvre bête était si docile que les hommes ne prirent aucun plaisir à cette chasse. Ils obéissaient aux ordres d’un maître vraiment capricieux.

Quelques heures plus tard, le loup noir s’éveilla et sa première réaction fut de rechercher sa belle louve blanche. Il la chercha pendant des jours, des semaines et des mois sans comprendre cette étrange disparition. Un jour cependant, il apprit d’un autre loup la mort de sa bien-aimée. Ces informations provenaient d’un serviteur qui venait, à l’occasion, jeter des restes de tables aux loups jusqu’alors amicaux. Mais un matin, l’un des loups fit comprendre au serviteur de s’en retourner rapidement à l’oasis puisqu’il n’était plus question d’accepter la moindre nourriture de ce roi Asinor. Comme le serviteur comprenait le langage des animaux, voici ce que le loup lui dit en le pressant de repartir :

- Le loup noir est devenu fou de rage lorsqu’il a appris que sa bien-aimée est devenue la descente de lit du roi Asinor. Il faudra dorénavant suivre notre chef et nous attaquer à tous les voyageurs qui oseront franchir ce désert afin de se rendre à Sabel. Le loup noir veut venger la mort de sa louve blanche en laissant le roi et son peuple mourir de faim. Plus personne ne viendra vendre quoi que se soit à Sabel. Les rares marchands qui voudront tout de même se risquer à une telle entreprise, devront s’attendre à nous voir dévorer leurs esclaves et détruire leurs biens. S’il le faut, nous tuerons leurs chameaux. Va dire cela à ton souverain avant que notre chef nous ordonne d’attaquer ces marchands qui devront bientôt franchir le désert.

Le serviteur obéit mais le roi se moqua de lui en criant :

- Mes chasseurs sont déjà partis éliminer ces sales bêtes du désert.

Pourtant, de tous ces valeureux chasseurs, aucun ne revint vivant de ce désert. Le roi Asinor envoya d’autres exterminateurs mais un seul revint et dans un si pauvre état d’ailleurs qu’il s’écroula raide mort devant son souverain après lui avoir remis une missive. Elle était faite de peau humaine et portait la griffe du loup noir. Un ermite fort âgé l’avait rédigé pour cette bête du désert puisqu’il connaissait parfaitement la langue des loups et celle des hommes de plusieurs peuples. Son nom était URTANE. Il vivait parmi les loups depuis plusieurs années. Le roi prit donc connaissance du contenu de cette lettre écrite avec du sang humain et tous ses membres se mirent à trembler.

- Non, ce sale loup de malheur va regretter de m’avoir menacé. Je suis le roi, le roi! cria-t-il aux gens de sa cour.

Il déposa la lettre dans la main de son conseiller ORIN avant de s’écraser mollement sur son trône. À sa demande, Orin prit également connaissance de cette missive qui se lisait ainsi : “Ma louve était pure et si douce que sa fourrure blanche me rendait fou d’amour. Mais toi, roi barbare, pour le seul plaisir d’avoir une belle fourrure sous les pieds a valu à ma bien-aimée ce sort cruel d’être égorgée, éventrée et vidée de son être par tes chasseurs inconscients. Ils n’ont éprouvé aucune compassion envers celle qui prenait plaisir à la vie. Ils n’ont pas respecté son coeur pacifique. Alors, malheur à toi car ma folie est devenue telle qu’elle va t’enfermer dans ton propre royaume comme un prisonnier à qui la grâce sera refusée. Aucun vivant ne parviendra à ton oasis, aucun de tes sujets ne réussira à franchir plus d’une lieue en dehors de Sabel. Mes loups dévoreurs n’auront pitié de personne au-delà de cette distance.

Ordonnes tout ce que tu voudras mais personne n’entrera ou ne sortira de ton royaume. Tu périras sur ton propre trône car ma bien-aimée ne t’appartenait pas.

Le roi envoya plusieurs bandes de chasseurs ratisser les alentours de son oasis, mais ceux-ci ne revinrent jamais. Le loup noir prouva ainsi, de jours en jours, qu’il contrôlait parfaitement les alentours de Sabel. Le peuple s’inquiétait car déjà plusieurs sortes de vivres se faisaient rares.

Le loup noir attendit quelques mois avant de faire parvenir une autre missive au roi. Celle-ci disait : “Tu dois choisir à présent, roi des truands, entre la survie de ton trône et l’abandon de tes enfants : LANOLPO et BALCHEN, prince et princesse de Sabel. Tu devras les faire reconduire à deux lieues de ton royaume et les laisser ensuite faire seuls le chemin jusqu’à moi. Tes enfants me seront une bien faible consolation pour le sang de celle qui repose au pied de ta couche.”

Le roi, apeuré et surtout indigné par une telle proposition fit aussitôt armer ses meilleurs guerriers afin d’en finir avec cette bête noire. Il promit tant d’or à leur retour que tous ses soldats partirent sur le champ, à la guerre contre cette meute du désert. Mais le chef des loups les vit venir de loin car leurs chameaux soulevaient de véritables nuages de poussière. Le loup noir divisa rapidement sa meute en trois groupes. Le premier était composé par des loups sauteurs, le deuxième par des loups égorgeurs et le dernier, des loups dévoreurs. En tout, deux cents loups attendirent derrière les dunes de sable que s’approche la troupe composée de trois cents guerriers.

Les loups étaient bien cachés mais leur odeur parvint tout de même aux chameaux devenus très nerveux. Le chef de la troupe fit alors avancer son armée à petits pas pour ensuite faire signe à ses hommes de sortir leurs sabres. Cependant dès qu’ils entendirent le terrible hurlement des loups, les chameaux se raidirent. On aurait dit un cri strident, unique et sans peur. Le loup noir dirigeait sa meute d’une manière si ordonnée qu’on se serait cru en présence de deux armées en train de s’affronter en corps-à-corps. L’armée des hommes attaquait avec ses sabres et l’autre avec ses crocs et ses griffes. Les chameaux couraient de tous côtés, devenus hors de contrôle. Cette désorganisation obligea les guerriers à sauter en bas de leurs montures afin d’affronter les loups féroces. Ils étaient trop éloignés les uns des autres pour pouvoir se protéger. Alors qu’ils faisaient face à un loup, un autre leur sautait dessus par derrière. Il était alors facile aux loups égorgeurs de les mordre mortellement au cou. Les guerriers étaient harcelés de toutes parts et ceux qui réussirent tout de même à décapiter plusieurs bêtes virent bientôt la force de leurs bras s’affaiblir. Une fois exténués, les meilleurs combattants devinrent à leurs tours des proies faciles pour les loups sauteurs et les autres.

Plusieurs loups gisaient sur le sable mais tous les guerriers envoyés par le roi Asinor périrent au cours de ce combat. Le loup noir en avait lui-même fait périr une cinquantaine. Puis il regarda sa meute festoyer sans toutefois y prendre part. Il s’éloigna en baissant la tête.

Lorsque le roi vit tous les chameaux revenir à Sabel sans leur cavaliers, Asinor s’arracha la barbe et les cheveux en criant sa rage et son désespoir. Le conseiller Orin fixa le jeune prince et la princesse d’un regard rempli de larmes. Leur père les serra dans ses bras en leur disant :

- Jamais je n’accepterai de vous livrer à cette bête noire.

- Jamais ! répéta la jeune princesse qui pleurait discrètement après avoir enlassé le cou de son père.

Chapitre 2

Après quelques semaines, les vivres manquèrent partout à Sabel. C’était la famine et le peuple affamé réclamait sa nourriture. La foule de mécontents se rassemblait devant le palais et devenait plus nombreuse de jour en jour. Il fallait craindre une révolution. Le roi refermait les volets de la salle du trône pour ne plus entendre ces gens crier : “Nos enfants ont faim ; nos enfants ont soif !”

Le peuple était devenu si révolté que le conseiller Orin se permit de dire au roi :

- Ce n’est jamais bon signe, votre majesté, lorsqu’un peuple s’agite ainsi. Il va falloir s’attendre à une révolte à moins que meurent ces sales bêtes du désert. Même votre garde se plaint de cette disette. L’or que vous lui offrez ne peut nourrir leurs femmes et leurs enfants.

Le roi se mordait les doigts en se disant à lui-même :

- Ma couronne est plus importante que mes enfants même si j’ai besoin d’héritiers. Mais à quoi sert un roi, sinon à placer le bien de son peuple avant toute chose ! Que vaut un souverain sans ses sujets ? Dois-je les laisser tous mourir de faim ? Le prince et la princesse mourront également de faim si je décide de ne pas les livrer au loup noir. Il faudra donc qu’ils se sacrifient pour le roi et son peuple. Les gens diront: “Notre roi nous a tant aimés qu’il a livré ses enfants pour nous sauver de la famine.” Mes sujets pleureront la mort de deux innocents et seront d’autant plus fidèles à leur roi.

Le prince Lanolpo et la princesse Balchen se sont soumirent à la décision de leur père. Le conseiller Orin s’agenouilla devant eux en disant tristement :

- Un nouveau malheur vient de frapper le royaume de Sabel. Votre frère aîné, n’est-il pas disparu du palais depuis déjà cinq années en laissant votre père dans un grand désespoir ? Puisque les malheurs n'arrivent jamais seuls, pourquoi a-t-on enlevé ma fille PRISILA afin de la vendre comme esclave dans un pays lointain ? À nouveau ce malheur a décidé de me séparer du prince et de la princesse que je considérais comme mes propres enfants. Oh ! bon prince Lanolpo et vous douce princesse Balchen, si je pouvais me livrer à votre place et périr dans la gueule de ce loup monstrueux, rien ne pourrait m’arrêter afin de vous éviter ce cruel destin.

- Orin, lui répondit le jeune prince en tentant de lui sourire, personne ne pourra remplacer la mort de cette louve blanche sauf celui et celle que ce loup a désignés pour satisfaire sa vengeance.

Le prince Lanolpo avait raison. Toutefois, le roi fut si ému par le courage de ses enfants qu’il envoya un émissaire voir cet ermite du désert. Il espérait ainsi qu’il intercède auprès du loup noir. Le roi était disposé à se livrer à la place de ses enfants. Mais le loup dit comme réponse :

- Je n’ai nulle envie de me nourrir de la chair corrompue de celui qui a ordonné la mort de ma bien-aimée. Tu souffriras, piètre roi, d’avoir perdu ceux que tu aimes.

Le roi demeura seul dans la salle du trône au moment où ses enfants furent conduits dans le désert. Le prince et la princesse se retrouvèrent bientôt en face du loup noir. Il les fixa d’un air fort étrange. Les enfants pleuraient mais le loup dit alors à l’ermite qui l’accompagnait :

- Il faut que tu apaises leurs craintes car il n’est pas digne de répandre le sang de ces enfants. J’attendrai donc qu’ils perdent leur innocence afin de satisfaire ma vengeance. Lorsque je verrai dans leurs yeux cette folie et cette haine dont je suis l’esclave depuis la mort de ma bien-aimée, je n’aurai plus qu’à me venger de leur père en les tuant froidement comme il le fit avec ma louve blanche.

Le loup noir s’éloigna afin de laisser l’ermite traduire ses paroles aux enfants. Puis l’homme les conduisit dans sa grotte. Le prince et la princesse s’endormirent côte-à-côte près d’un feu après avoir bu et mangé. L’ermite les regarda dormir en murmurant : “C’est à moi qu’il incombe de veiller sur vous. Je vais devoir vous enseigner comment ne pas imiter les puissants et les orgueilleux de peur que le loup noir découvre dans vos yeux la flamme des passions humaines. Votre pureté de coeur et d’esprit est ce qui empêche ce loup de vous dévorer.”

Chapitre 3

Toutes les activités commerciales avaient reprises au royaume de Sabel. Toutefois, le roi Asinor se mourait de tristesse. Le peuple oublia vite le sacrifice du prince Lanolpo et de la princesse Balchen puisque personne ne parlait à présent des anciennes tyrannies du loup noir. Mais le roi dépérissait à vue d’oeil. Il dormait à même le sol, sur cette fourrure blanche étendue au pied de sa couchette.

Une nuit, le loup noir s’introduisit discrètement dans la chambre du roi en passant par la fenêtre. Il vit alors le souverain qui dormait sur la peau de sa bien-aimée, sa louve blanche. Sa première réaction fut d’ouvrir la gueule et de montrer ses crocs. Par contre, lorsqu’il remarqua le visage rougi par les larmes du roi Asinor, le loup se contenta de lui retirer la peau blanche sans le réveiller. Puis, une fois de retour au désert, la bête déposa la jolie fourrure aux pieds de la princesse Balchen. Il fit venir l’ermite afin qu’il interprète ses paroles à la jeune fille.

- Je veux que tu te revêtisses de cette peau blanche.

La princesse accéda à sa demande et le prince, attendant d’être seul avec sa soeur lui dit d’une voix troublée :

- Tu vas animer la folle passion de ce loup noir Balchen. En te voyant, il verra également sa louve blanche. J’ignore ce qu’il espère de toi ma soeur !

Au palais de Sabel, le roi était devenu fou de douleur depuis qu’on venait de lui ravir la peau de la louve blanche. Même si cette fourrure lui rappelait la raison de tous ses malheurs, il gémit ainsi :

- Ce loup a repris sa louve et a gardé mes enfants. Je n’ai plus rien que mes peines. La raison me quitte car plus rien ne peut atténuer ma douleur d’avoir livré mes enfants à ce loup de malheur. Avant, je pouvais me consoler en me disant que je détenais la peau de louve qu’il appelait sa bien-aimée.

Par la suite, le roi Asinor s’installa mollement sur son trône et se laissa mourir de faim. Son conseiller Orin devint le nouveau souverain de Sabel. Si jadis, il s’attristait de la perte du prince et de la princesse, son humeur changea dès qu’il comprit que son titre de roi était dû à l’absence des successeurs du roi Asinor. Il tentait toutefois de s’assurer que ceux-ci étaient bel et bien morts. Il songea même à les faire disparaître à tout jamais s’ils avaient survécus à la haine du loup noir. Il envoya donc ses espions déguisés en marchands dans tous les coins du désert en leur recommandant de s’informer discrètement du sort des deux enfants. “Il y a bien, dit-il, quelqu’un parmi ces nomades qui pourrait se rappeler, par exemple, d’une histoire qui évoquerait la mort de deux enfants ayant été dévorés par le loup noir...”

C’est ainsi qu’un jeune homme du nom d’ALI CHIMACUM AMORA partit un beau matin du royaume du roi Orin, vêtu en riche marchand de Sabel. Issue d’une famille de bergers, Ali Chimacum Amora accepta de devenir l’un des espions du roi en retour de quatre pièces d’or. Il se joignit à une petite caravane de passage à l’oasis et celle-ci le conduisit finalement dans un coin du désert encore fréquenté par les loups. C’était un endroit assez bizarre et surtout très peu habité malgré les sept petits oasis qui formaient un genre d’archipel perdu au coeur du désert. Le faux marchand se renseigna au sujet du loup noir et de sa meute qui rôdaient souvent dans les ÎLES NOMADES. C’est ainsi que les nomades surnommaient ces petits oasis. Par contre, le marchand visita plusieurs îles sans parvenir à se renseigner sur ces loups. Les quelques habitants de l’endroit se contentaient de dire que les loups venaient parfois s’abreuver dans leurs îles pour ensuite s’en retourner au désert. Ali Chimacum Amora se fit aborder par un vieux berger de l’une des îles du désert et juste au moment où la caravane se préparait à s’en retourner vers Sabel, le vieil homme lui dit en regardant craintivement autour de lui :

- On m’a dit que vous êtes intéressé par les loups du désert étranger? Ici, personne ne vous renseignera à moins...

- À moins de quoi ? s’empressa de demander le marchand intrigué.

- Pouvons-nous parler sous votre tente puisque je vois qu’elle n’est pas encore défaite?

Le jeune homme invita le berger sous sa tente et se fit aussitôt demander une pièce d’or en retour de précieux renseignements. Le marchand lui dit d’un air amusé :

- Je vous donnerai volontiers une pièce d’or si vous avez des choses intéressantes à m’apprendre sur ces loups.

- Que désirez-vous savoir au juste ?

- Connaissez-vous une histoire qui relaterait la mort de deux enfants qui furent offerts au loup noir il y a quelques années de cela ?

- Non, lui répondit le berger aussitôt. Par contre, je sais que le loup noir vit pas très loin d’ici en compagnie d’un ermite et de ses deux enfants. Ils sont d’ailleurs fort étranges. Le garçon vit complètement nu et ne se sépare jamais de son arc et de ses flèches. Puis sa soeur se promène toujours à ses côtés, vêtue d’une peau de louve blanche. Toutefois, la beauté de cette jeune fille a déjà coûté la vie à quelques imprudents séducteurs. Le frère de cette étrange jeune fille abat tous ceux qui osent s’approcher d’elle. Personne n’a réussi à lui parler car son frère n’accepte aucun étranger dans le jardin privé de l’ermite.

Ali Chimacum Amora était persuadé qu’il s’agissait du prince Lanolpo et de la princesse Balchen. Mais il ne voulait pas s’en retourner à Sabel avant d’être certain qu’il s’agisse de ce couple royal, à présent dans la vingtaine. Le jeune marchand demanda donc au berger de lui indiquer la route qu’il devrait prendre pour trouver ces deux enfants de l’ermite. Alors l’autre sortit de la tente avec lui et pointa un coin noir à l’horizon du désert.

- Étranger, c’est facile de t’y rendre en te fiant à cette petite montagne que tu vois là-bas à quelque deux jours de marche. L’ermite et ses enfants vivent de l’autre côté de cette haute colline. Mais prends garde, mon ami, de ne pas t’approcher de cette jeune fille si tu la vois se promener dans le jardin. Tu risquerais de recevoir une flèche mortelle.

Chapitre 4

Le jeune marchand entreprit cette marche de deux jours et atteignit cette petite montagne sans encombre. Il était déjà tard car le soleil s’était presque entièrement caché à l’horizon. Ali Chimacum Amora préféra s’installer au sommet de la colline entourée d’arbres afin d’y passer la nuit. Il s’endormit bientôt tout près d’un rosier sauvage. Son parfum le plongea dans un sommeil calme et profond. Il fit alors un rêve fort étrange. Il se voyait roi de Sabel. Une jolie reine, vêtue d’une longue robe de soie et ornée de pierres précieuses marchait à ses côtés entre deux rangs d’invités. Elle gardait son voile relevé et Ali Chimacum Amora ne cessait de contempler son visage merveilleux. Puis, il se vit devant un trône en or, recouvert de plusieurs pierres d’émeraudes. Un loup noir était assis sur ce trône et ses yeux brillaient d’une joie intense. La bête disait aux jeunes mariés : “Soyez heureux, bons et nobles souverains de Sabel.”

Le rêveur fut éveillé par le sifflement d’un serpent. La bête s’était enroulée autour du tronc du rosier. Alors, vite comme l’éclair, le jeune marchand l’empoigna derrière la tête et se prépara à le lancer en bas de la colline. Mais le serpent lui cria :

- Arrête, si tu me lances en bas du rocher, je ne pourrai t’indiquer où se trouve le jardin fleuri que tu cherches ! N’est-ce pas pour voir cette princesse Balchen que tu es venu ici, jeune étranger ?

- Serpent de malheur, lui cria le marchand qui le tenait déjà au bout d’un bras. Tu viens de me sortir d’un joli rêve, sale vipère.

Mais réalisant tout à coup que ce serpent possédait l’usage de la parole, le jeune homme le laissa retomber à ses pieds. Alors la bête siffla de soulagement. Toutefois, sa liberté fut de courte durée puisque le marchand lui plaça un pied sur le corps en lui criant :

- Si tu pensais pouvoir te faufiler entre les hautes herbes gros ver noir, il faudra que tu abandonnes ce projet. Alors, qu’as-tu à m’apprendre, mauvaise créature, au sujet de ce jardin fleuri ?

- Si tu m’écrases ainsi étranger, lui répondit le serpent en train de suffoquer, je ne te dirai rien...

Ali Chimacum Amora prit donc une chance de retirer son pied de cette dangereuse vipère noire et l’examina s’enrouler autour du rosier. La bête n’était peut-être pas une vipère puisqu’elle parlait comme les humains et que le bout de sa queue émettait des bruits de sonnettes comme le serpent crotale. Le reptile siffla un long moment pour ensuite s’adresser à l’étranger en disant :

- Au pied de cette colline se trouve un magnifique jardin exotique. La princesse s’y rend chaque matin en compagnie de son frère. Tu dois te méfier de lui et en même temps t’en faire un ami car jamais tu ne pourras t’approcher de la princesse sans son autorisation. Le prince ne craint que les beaux séducteurs. S’il voit que tu sembles indifférent à la beauté de sa soeur, que tu es, en plus, très laid et même à prendre en pitié, il te laissera lui parler. Crois-moi étranger, dès que tu verras cette princesse tu ne pourras t’empêcher d’en devenir fou d’amour. Ainsi, écoutes mes conseils si tu tiens à sortir vivant de ce jardin. Prends deux cailloux et gardes-les dans ta bouche afin que tes joues donnent l’impression d’être difforme. Puis, place une lourde pierre sur ton dos en t’assurant qu’elle est bien dissimulée sous ta tunique. Ainsi le prince croira que tu es un pauvre bossu qui implore sa pitié et l’aumône. Enfin, déchires une partie de ton vêtement afin de prouver que tu es un pauvre homme. Comme tu devras te faire passer pour un pèlerin, trouves-toi un grand bâton sur lequel tu t’appuieras pour marcher. Ainsi tu verras la princesse s’approcher de toi, émue de compassion. Mais à savoir à présent comment tu pourras obtenir son coeur, ceci n’est pas de mon affaire.

Le marchand lui dit d’une voix troublée :

- Il me semble, sale vipère, que tes conseils sont logiques et astucieux mais pourquoi tiens-tu à m’aider ?

- Une force inconnue m’oblige à te parler ainsi. Puis, ne m’as-tu pas épargné ?

Le serpent disparut ensuite rapidement. Le jeune homme demeura des plus songeur. Cette vipère ne cherchait pas du tout à aider ce marchand mais, au contraire, à perdre la princesse. Ce serpent de malheur espérait voir ce jeune homme succomber aux charmes de la fort jolie Balchen et, si possible, le perdre comme tous ces autres séducteurs venus pour parler à la princesse. Le serpent trouvait pour chaque visiteur un déguisement différent pour tromper le prince. Mais à chaque fois, le séducteur oubliait de s’en revêtir dès qu’il voyait de loin la jeune fille à la peau de louve blanche. Il s’élançait alors dans les sentiers du jardin sans tenir compte du prince qui l’abattait sans attendre, avant même que sa soeur puisse apercevoir le prétendant.

Même si le serpent cherchait à perdre le jeune marchand, il lui avait tout de même donné de précieux conseils. C’était à Ali Chimacum Amora d’être plus malin que le malin lui-même.

Tôt le matin, le jeune homme se déguisa en pauvre mendiant et descendit lentement la colline. Bientôt, il vit le prince et la princesse assis près d’un petit étang. La jeune fille se mirait dans cette eau très claire mais son frère se leva rapidement pour s’approcher du bossu. Il avait son arc tendu en sa direction mais le faux mendiant lui dit en marchant difficilement à cause de cette lourde pierre qui lui meurtrissait le dos : “Pitié pour un pauvre mendiant qui ne demande qu’un peu de nourriture.” Jouant son rôle merveilleusement, le marchand éveilla de la compassion dans le coeur du prince Lanolpo. Il déposa son arc et vint soutenir le bras du bossu en l’examinant d’un air satisfait. À vrai dire, Ali Chimacum Amora s’était tellement enlaidi qu’il n’aurait jamais réussi à s’attirer les faveurs de la déesse de la beauté. Mais la princesse le rendit fou d’amour dès qu’elle s’approcha de lui en disant :

- Oh mon frère, mais qui est ce pauvre homme ? Il doit avoir marché longtemps car ses jambes tremblent de fatigue.

Le jeune homme se dit en lui-même qu’il aurait dû se trouver une pierre moins lourde car il craignait que son poids le fasse succomber pendant qu’il marchait au bras de la jolie princesse. En effet, Balchen le soutenait en disant à son frère :

- Donnons-lui à boire car il doit avoir très soif.

L’ermite, c’est-à-dire Urtane, s’approcha bientôt de ce bossu pour l’examiner d’un air amusé. Il était convaincu d’avoir devant lui un faux mendiant mais il fit semblant de ne pas le remarquer. C’était la tunique de ce bossu qui lui parut suspecte car Ali Chimacum Amora portait le vêtement des riches marchands de Sabel. Il aida donc la princesse à soutenir ce pauvre espion du roi et le conduisit dans une grotte qui lui servait de laboratoire. En effet, Urtane était magicien. Il demanda ensuite à la princesse de s’en retourner auprès de son frère.

- Votre frère Lanolpo me semble bien inquiet au sujet de la présence de ce pauvre mendiant. Il craint sans doute la réaction du loup noir puisqu’il n’autorise personne à vous parler. Le mieux serait donc de me laisser m’occuper seul de cet étranger. Je vais lui donner à manger, le laisser se reposer et ensuite j’irai le reconduire en dehors du jardin.

La princesse rencontra alors le regard amoureux du faux bossu. Elle en éprouva une douce sensation dans tout son être. Mais obéissant à l’ermite, Balchen s’éloigna sans dire un seul mot. Elle fit quelques pas puis s’arrêta. Urtane sortit de la grotte afin de lui demander une seconde fois de s’éloigner. Mais la princesse lui répondit en versant quelques larmes :

- Est-ce mal d’avoir éprouvé de la compassion envers un pauvre mendiant ? Dois-je passer ma vie à supporter la jalousie d’un loup qui aurait dû nous dévorer plutôt que de nous garder prisonniers de son jardin !

L’ermite baissa les yeux tandis que le prince s’approcha de sa soeur en disant :

- Tu parles étrangement ma soeur depuis que tu as rencontré ce pèlerin. Retournons près de l’étang avant que le loup noir découvre que tu as parlé à un étranger. Puis vous, Urtane, il serait préférable de faire sortir ce bossu de notre jardin avant le retour du loup.

Le jeune marchand était debout au milieu de la caverne et s’appuyait fortement sur sa canne en examinant l’intérieur de ce laboratoire secret. Il y avait là sur une longue table rectangulaire des centaines de volumes poussiéreux empilés les uns sur les autres. Sur des tablettes étaient rangés des vases, des cornues, des alambics et surtout des bocaux remplis de toutes sortes d’huiles et onguents. Au fond de la caverne se trouvait un petit four éteint dans lequel le magicien y faisait mijoter ses potions mystérieuses.

L’ermite laissa son invité au milieu de la pièce pour aller saisir sur une tablette un petit bocal argenté.

- Bon, c’est exactement ce qu’il me faut pour faire fondre une bosse indésirable, disait-il pendant que le faux bossu cherchait à lui fausser compagnie.

Mais Urtane lui dit en le saisissant par le bras :

- Votre bosse me semble bien lourde étranger. Donc, laissez-moi faire puisque je connais le remède à votre infirmité.

Comme l’ermite sondait sa bosse à l’aide d’un petit marteau de sculpteur, le jeune marchand comprit aussitôt qu’il ne pouvait berner ce vieillard. Il chercha à s’agenouiller à ses pieds afin d’implorer son indulgence mais en fléchissant les genoux, il perdit l’équilibre. Il s’étendit de tout son long et Urtane lui dit en riant :

- Alors jeune homme, quel est cette folie mortelle qui vous a conduit au rang de mendiant? Est-ce que je me trompe en vous disant que vous portez la tunique d’un marchand de Sabel ?

- Non, lui répondit timidement le faux bossu qui cherchait un moyen de se relever.

Le vieillard l’aida à se relever et le fit asseoir sur un tabouret en forme de tronc d’arbre. Alors le marchand préféra mettre un terme à sa comédie en lui disant d’une voix franche :

- Mon nom est Ali Chimacum Amora. Je porte en effet le vêtement des marchands de Sabel mais je ne suis qu’un berger. On m’a offert quelques pièces d’or pour devenir l’espion du roi. Il veut savoir si le prince Lanolpo et la princesse Balchen vivent encore. Mais rassurez-vous, je préférerais mourir pauvre, plutôt que de continuer ce travail d’espion. Je suis épris du coeur de celle qui m’a soutenu le bras et pour tout dire, j’en suis amoureux.

- Selon vous, jeune homme, qui est cette charmante jeune fille ?

- J’aimerais qu’elle soit une simple bergère, se contenta de répondre le bossu en soupirant.

- Vous savez que vous risquez votre vie pour oser aimer la princesse Balchen ? Le loup noir vous dévorera s’il découvre que vous étiez un faux bossu.

- Oh ! vieil homme, je sais que vous êtes bon et plein de sagesse, sans quoi vous m’auriez démasqué devant le prince Lanolpo.

- C’est possible mais cela n’empêchera pas le loup de vous dévorer s’il vous trouve ici.

- Qu’il me dévore si tel est le sort qui m’attend bon Seigneur. J’ai vu la princesse Balchen et jamais je ne pourrai vivre sans elle à présent.

Refusant de cacher son identité au loup noir, Ali Chimacum Amora demanda au vieil homme de l’aider à retirer cette énorme pierre qui lui laissa d’ailleurs de larges raies de sang dans le dos. Puis, il cracha ces cailloux qui lui déformaient les joues.

Urtane admira le courage de ce jeune homme. Il se disait que l’étranger était véritablement épris de la princesse pour attendre ce loup qui ne tarderait pas à le découvrir dans le laboratoire. Alors il s’éloigna au fond de la grotte afin d’y prendre un gros livre rouge recouvert de poussière. Il l’ouvrit après l’avoir déposé sur une table et invita ensuite le jeune homme à venir près de lui. Ali Chimacum Amora vit alors une peinture qui montrait une jolie dame vêtue richement et qui tenait la main à un noble chevalier vêtu d’un costume de velours noir.

- Pouvez-vous me dire qui est ce couple, jeune homme ?

- Je l’ignore, répondit le marchand d’un air étonné. Tout ce que je sais mon Seigneur en examinant cette dame, c’est qu’elle est vraiment belle !

- En effet, s’empressa de lui confirmer le magicien. Voici la demoiselle PRISILA, fille du conseiller Orin.

- Du roi de Sabel mon Seigneur ? s’exclama l’étranger.

- Il est donc devenu roi celui-là ? Mais peu importe cela. Ce fier chevalier que vous voyez ici est le prince PINOSSA, fils du roi Asinor. C’est lui que nous appelons aujourd’hui le LOUP NOIR, celui qui fut follement amoureux de sa belle LOUVE BLANCHE.

- De Prisila ? gémit alors le jeune marchand des plus troublé par ces révélations.

- Oui jeune homme, vous avez bien deviné, lui répondit l’autre en soupirant. Je me fais vieux et désire avant tout que cesse cette tyrannie du loup noir envers le prince et la princesse. Je les aime comme mes enfants et il faudra bien que le loup réalise que sa haine ne peut être éternelle !

- Mais, mon Seigneur, le loup noir serait le frère du prince Lanolpo et de la princesse Balchen alors ?

- En effet, mais dans sa nature animale, il a perdu presque tout ce qui lui rappelait sa vie d’homme. Mais comme vous brûlez de désir de connaître la raison de cette métamorphose de Pinossa et de Prisila en loups, je dois vous avouer que c’est moi l’auteur de cette transformation. Mais laissez-moi plutôt vous raconter comment j’en suis venu à accepter de les changer en loup noir et louve blanche. À l’époque, le prince Pinossa aimait tant la fille du conseiller Orin qu’il songea même à l’épouser. Son père Asinor était contre ce mariage et plutôt que de tenter de dissuader son fils, il préféra faire disparaître la fille de son conseiller. Comme des marchands d’esclaves s’apprêtaient à quitter Sabel, le roi Asinor leur offrit cette jeune fille comme esclave. Il exigea cependant qu’elle soit vendue dans un pays lointain. Les marchands ont donc enlevé Prisila en la cachant dans un coffre d’osier mais l’une des servantes en a aussitôt informé le prince Pinossa. Il sortit en trombe du palais et malheureusement sans arme et sans escorte dans le but de rattraper ces marchands qui étaient déjà assez éloignés de l’oasis. Le prince croyait que ces gens-là lui remettraient sa belle Prisila lorsqu’ils réaliseraient qu’elle était la fille du conseiller Orin et lui, le fils du roi Asinor. Mais les marchands d’esclaves l’ont également enlevé afin de le vendre avec sa bien-aimée. Ils ont été vendus à un riche sultan que je connaissais bien, puisque j’étais son médecin personnel. Comme le prince Pinossa et sa belle Prisila faisaient la grève de la faim depuis des semaines, le sultan préféra me les offrir en guise de remerciements pour mes loyaux services. En réalité, il était convaincu que j’aurais bientôt deux morts sur les bras. Mais j’ai conduit ce couple dans le désert afin de les remettre en liberté. Je les ai soignés et bien nourris, si bien qu’ils reprirent des forces rapidement. Un jour, je décidai de les laisser partir mais ceux-ci s’y refusèrent à cause du roi Asinor qui voulait les séparer. Au désert, le prince et sa belle étaient libres et heureux. Mais le roi envoya bientôt son armée ratisser le désert à la recherche de son fils. La servante qui savait où était allé le prince n’a jamais voulu le révéler au roi. Elle avait peur qu’il la fasse périr si elle divulguait ce qu’elle savait sur l’enlèvement de Prisila. Le roi ayant besoin des loyaux services de son conseiller Orin, il n’était pas dans son intention de lui expliquer les raisons de la disparition de sa fille. Le prince et sa belle devaient se cacher afin d’éviter les nombreuses cavaleries qui ratissaient les moindres coins du désert. À cette époque, je vivais déjà entouré de centaines de bêtes. C’étaient des pauvres malheureux que j’avais changé en loups afin qu’ils puissent échapper à leurs maîtres. C’est ainsi que j’ai également changé le prince Pinossa et sa belle Prisila en loup noir et en louve blanche. Ils pouvaient, par ce moyen, échapper aux soldats du roi Asinor. Le loup noir dut défendre sa belle louve contre les autres loups qui rôdaient autour d’elle. Mais le prince prouva à tous qu’il ne craignait aucun autre loup. Il devint même leur chef incontesté. La suite est facile à comprendre. Lorsque le roi a fait abattre la louve blanche, c’est l’amoureuse de son propre fils Pinossa qu’il a fait disparaître. J’ignore comment réagirait le nouveau roi de Sabel s’il apprenait un jour que la descente de lit de son ancien maître était tout ce qui restait de sa fille ! Jamais je ne voudrais qu’il le sache...

Au même instant le loup noir apparut à l’entrée de la caverne en montrant ses crocs redoutables au pauvre jeune homme. Mais l’ermite se plaça entre le loup et l’étranger en faisant signe à la bête de se calmer.

- Arrière prince Pinossa, lui cria-t-il en le fixant sévèrement dans les yeux. Quand allez-vous cesser d’entretenir cette haine maladive pauvre malheureux ? De quel droit détenez-vous votre propre frère et soeur en otage ?

Le loup fixait le vieil homme d’un air étrange. Il cherchait à comprendre le sens des paroles de cet homme. Mais l’autre ajouta :

- Vous êtes le prince Pinossa, fils du roi Asinor et par conséquent, le frère du prince Lanolpo et de la princesse Balchen.

- Balchen est ma soeur ? gémit le loup dans sa langue animale. Elle n’est pas ma belle Prisila ?

Le loup noir s’était imaginé dans sa folie revoir dans la princesse Balchen, la représentation de sa bien-aimée. C’était pour cela que cette jeune fille devait se promener avec la peau de la louve blanche. Le loup baissa les yeux en pleurant. Alors l’ermite lui dit calmement :

- Prince Pinossa, vous souvenez-vous de celui qui a voulu vous empêcher d’épouser votre belle Prisila ? J’ai vu dans le regard de ce jeune étranger et dans celui de la princesse Balchen la même expression que ce prince, jadis amoureux de Prisila. Faut-il, à présent, détruire leur amour comme ceux qui ont été séparés par un roi égoiste?

- Non, lui répondit le loup qui se souvenait à présent de son ancienne condition humaine. Ils s’aiment vraiment ?

- Quelle preuve désirez-vous au juste prince incrédule ? Ce jeune homme a risqué sa vie afin de pouvoir parler à votre soeur. Lorsqu’elle a vu cet étranger, j’ai cru un moment que c’était la compassion qui brillait dans ses yeux. Pourtant, je ne pourrais me tromper en vous disant qu’il était celui de cette belle Prisila lorsqu’elle vous examinait tendrement.

Le loup noir fixa le jeune homme dans les yeux en lui disant dans sa langue animale:

- Il faut quitter ce jardin étranger avant que je décide de vous dévorer. Vous avez transgressé ma loi en venant ici pour troubler l’esprit de celle que je tiens à protéger contre un insensé. Comment pouvez-vous avoir obtenu le coeur de Balchen puisqu’elle a simplement eu pitié de vous ?

Lorsque l’ermite eu terminé de lui traduire les paroles du loup noir. Ali Chimacum Amora se jeta à genoux devant la bête en déchirant le devant de sa tunique. “Dévorez-moi plutôt que de me laisser repartir sans la princesse Balchen. Votre coeur a-t-il oublié que l’amour voisine la haine ? Votre haine vous incite à me faire fuir mais l’amour m’oblige à vouloir demeurer ici.”

L’audace du jeune homme fit sourire Urtane car le loup se sentait beaucoup moins sûr de lui-même. Il montrait ses crocs en espérant apeurer son adversaire encore agenouillé devant lui. Le vieil homme intervint en disant au loup indécis :

- Prince, si vous prétendez avoir le droit de tuer un pauvre amoureux au nom de cette loi qu’il a transgressé, cessez donc de mépriser celui qui a cru sage de vous séparer de votre belle pour avoir transgressé sa loi ! Comme roi, votre père avait ce droit d’exiger que son fils épouse une princesse et non la fille de son conseiller.

Le loup se mit à rire des yeux et s’approcha du jeune homme pour lui lécher le front. Il lui dit ensuite :

- Vous êtes aussi fou que je pouvais l’être envers ma Prisila. J’ai sondé votre coeur et j’ai vu que vous êtes vraiment en amour. Toutefois, il n’est pas digne que je vous laisse sortir d’ici sans d’abord vous offrir un gage d’amitié.

Le loup noir demanda à l’ermite d’ouvrir un coffre au fond du laboratoire. Puis il fit approcher le jeune marchand. Ali Chimacum Amora sortit bientôt de la grotte en portant fièrement le costume noir du prince Pinossa. Le loup et l’ermite s’éloignèrent ensuite pour regarder le jeune homme et la jeune fille déjà enlacés comme deux amoureux. Le loup dit à Urtane :

- Vous ne trouvez pas que, quelque chose manque encore à leur parfait bonheur ?

Le loup s’approcha discrètement du jeune couple et d’un geste rapide agrippa la peau de louve pour ensuite s’éloigner en la traînant sur le sol. La princesse émue comprit à cet instant que le loup noir venait de lui redonner sa pleine liberté.

Chapitre 5

Le jeune marchand passa un certain temps dans ce jardin en compagnie de sa fort jolie fiancée, du prince Pinossa, du prince Lanolpo et de l’ermite. Puisque les amoureux exprimaient le désir de s’épouser, le loup noir dit secrètement au prince Lanolpo :

- Le royaume de Sabel me revient de plein droit. Mais je serais disposé à ne rien tenter pour le reprendre si le roi Orin accepte de te faire son prince héritier, mon frère.

- Je m’y refuse, lui répondit aussitôt le prince nu. Je préfère vivre au désert en compagnie d’Urtane et des loups. Mais vous mon frère, que comptez-vous faire puisque la magie d’Urtane ne peut vous redonner votre nature humaine ?

- Je n’ai jamais dit que je ne pouvais redonner la nature humaine à votre frère, lui dit le vieillard en s’approchant d’eux. Mais si je brise le vase dans lequel je conserve ce pouvoir de le changer en humain, tous les autres loups reprendront leurs anciens corps. Leurs maîtres chercheront de nouveau à les reprendre comme esclaves.

- Ne faites pas cela, lui dit le loup noir en regardant les centaines de loups qui vivaient à présent heureux dans ce désert. Je suis leur chef et jamais je ne vais les abandonner. Toutefois, je veux le bonheur de ma soeur Balchen et celui de ce jeune marchand. Si vous refusez votre héritage Lanolpo, notre soeur devient ainsi l’héritière du royaume de notre père Asinor. Faisons en sorte qu’elle épouse son amoureux dans ce palais qui lui appartient de plein droit. J’irai donc, avec mes loups, demander à Orin d’adopter notre soeur puisqu’il n’a pas d’héritiers. Après sa mort, Balchen deviendra reine de Sabel.

Le loup noir partit un matin à la tête de sa meute. Elle arriva quelques jours plus tard en face des portes de la cité peu de temps avant le coucher du soleil. Des paysans travaillaient encore aux champs. En voyant ces centaines de loups, des hommes, des femmes et des enfants abandonnèrent ces champs qui entouraient l’oasis de Sabel afin d’aller se réfugier dans l’enceinte de la ville. Ils criaient d’effroi : “Aux loups, aux loups...” Mais la surprise fut telle que les gardes fuyaient plutôt que de refermer les grandes portes de la cité, rapidement envahie par les loups. Les gens couraient vers leurs maisons mais les bêtes ne cherchaient nullement à les attaquer. Un jeune enfant pleurait au milieu de la place publique. Alors le loup noir le mordit à son collet de chemise afin de le traîner rapidement vers une femme qui criait en réclamant son enfant. Le loup noir ne tenait pas à voir cet enfant, seul, au milieu de cette place lorsque les autres de la meute s’y rassembleraient. La femme prit son enfant dans ses bras et disparut dans une chaumière. Elle était trop apeurée pour réaliser que le loup venait de sauver son jeune enfant.

Le palais s’était presque entièrement vidé de son monde. Le roi Orin et les membres de sa cour s’étaient tous cachés dans la salle du trône. Aucun garde ne tenait à affronter le loup noir. C’est ainsi que les loups arrivèrent sans difficulté dans la salle du trône. Le loup noir tenait un parchemin attaché et bien en vue dans son cou. Il voulut donc s’amuser à sauter sur le trône inoccupé afin d’y attendre le roi. Mais lorsqu’il sauta sur le trône vide, le pauvre Orin caché derrière celui-ci crut alors que c’était sur lui que la bête voulait sauter. Sa réaction fut de fuir par la fenêtre. Il se donna ainsi la mort, mettant fin à son règne. Les conseillers, et les autres membres de la cour tremblaient derrière des rideaux mais les loups les arrachèrent rapidement.

Le loup noir s’assit sur le trône. Il fit signe d’un geste de la patte à un conseiller de s’approcher. L’autre s’exécuta craintivement. Celui-ci lui retira le parchemin autour du cou et lut. La missive disait : “Je suis le prince Pinossa, fils du roi Asinor.” Dans cette lettre écrite de la main de l’ermite, celui-ci demandait au roi Orin d’adopter la princesse Balchen puisqu’elle était en droit d’être au moins remise dans ses titres de noblesse. Un des conseillers répondit que le trône était vacant et qu’il suffisait donc à la princesse de faire la preuve de son identité.

Ainsi, quelques jours plus tard, l’ermite arriva au palais en compagnie de la princesse Balchen et de son futur époux. Puisque plusieurs servantes la reconnurent de même que son frère Lanolpo, personne n’hésita à la proclamer reine de Sabel. On peut s’imaginer le bonheur de celle-ci et celui du jeune marchand lorsqu’ils furent mariés selon les rites et coutumes réservés aux rois. Mais la noce fut sans nul doute unique en son genre puisque la reine invita tous les loups à festoyer à la table d’honneur. Le loup noir était même assis près de la plus jolie reine du monde tandis qu’Ali Chimacum Amora cherchait à comprendre la langue de son beau-frère loup noir. Il dit alors à l’ermite en riant de bon coeur : “J’ignore bon Seigneur Urtane si je parviendrai un jour à comprendre la langue des loups. Toutefois, est-il nécessaire d’être un loup et un humain pour éprouver de la difficulté à se comprendre ?”

C’est ainsi que l’amour reprit sa place dans un royaume trop longtemps gouverné par des rois ambitieux. La reine Balchen gouverna Sabel avec beaucoup d’amour et sagesse tandis que son époux gouverna “SA BELLE” reine avec amour, tendresse et grand respect. Ils eurent de nombreux enfants mais cela n’a jamais été écrit dans les livres d’histoires de Sabel.

Pérignac, 1990.

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